Tours de défense et cimetières fortifiés en Thiérache (Villers-la-Tour, Macon, Bailièvre, Salles, Momignies)


Compte rendu de la conférence donnée le 19 avril 2023 par le Bernard Roucloux


L’objet de cette contribution est de faire un rapide survol des moyens de défense de certains villages de notre région, moyens de défense aujourd’hui disparus.

Contexte : présence continuelle de la guerre

La Fagne et la Thiérache : une zone de frontières. Au centre, Chimay, ville de défense protégée par la Fagne au Nord et par la Thiérache du côté français. Une protection illusoire toutefois. En effet, au cours des siècles, le pays de Chimay a été une zone de passage de troupes de toutes les nationalités. Globalement, la désolation sur notre territoire était régulière de ± 1340 (guerres menées par le roi de France Philippe VI ” le Valois “) jusqu’au début des années 1700 ( ” Siècle des malheurs ” sous Louis XIII et Louis XIV et ses cinq grandes guerres contre les Espagnols). Ainsi, malgré de multiples traités de paix, bien trop fragiles, la région de Chimay a vécu la présence presque permanente de la guerre. Les « provinces belgiques » étaient le champ de bataille privilégié de l’Europe et l’objet de convoitises. Pour la population, cette longue période signifie des passages continuels de troupes, des pillages, des réquisitions et des destructions. Dans ce contexte, l’homme se sentait bien vulnérable.

Survivre : Fuir dans les boisou tenter de se protéger

Affamée, exaspérée, la population n’avait d’autre recours que de fuir dans les bois et attendre la fin des alertes, toujours brève. Historiquement, la forêt est le plus vieux refuge pour une population. Mais fuir dans les bois et abandonner son village n’étaient pas la bonne solution. Aussi, pour se protéger, deux autres solutions se présentaient : soit trouver refuge dans une ville fortifiée, comme Chimay, soit apprendre à se défendre soi-même : construire un fort ou de fortifier un site public. Des ouvrages modestes de défense ont ainsi été édifiés : ce sont les tours ou fortins, les fermes fortes, mais aussi les cimetières fortifiés et les églises fortifiées. Aujourd’hui, dans notre région, la plupart de ces ouvrages ont disparus.

Le donjon du pauvre

L’église

En cas de danger, la population – alertée par la cloche donnant l’alarme – se réfugiait à un endroit convenu. Souvent l’église. Une habitude depuis le haut Moyen Âge. Pourquoi ? Ces églises étaient la plus petite cellule de défense dans les villages car elles représentaient, d’une part, un endroit vaste et solide pour accueillir toute une population et, d’autre part, un endroit d’asile sous protection divine (sorte d’immunité due à l’inviolabilité des lieux consacrés au culte). Ce moyen de défense était surtout « passif » (abri relatif pour les réfugiés qui subissent sans moyen de riposte) et souvent illusoire.

Le cimetière fortifié

Église de Salles (dessin de J. de Bersacques – Album de Croÿ, Tome 26 – Bxl, CCB, 1996)

Plus tard (à partir du XVIe siècle), pour parfaire ce refuge, on a fortifié ce lieu de la foi : on ceinture l’église et son cimetière par une enceinte fortifiée. Le caractère militaire s’ajoute ainsi au caractère religieux. Ce type de système de défense contre les assaillants et les pillards relève de la communauté villageoise pour sa construction et pour son entretien. Le cimetière fortifié peut être classé parmi les moyens de défense passifs, bien que certaines tours de l’enceinte offraient une possibilité de résistance par le tir. Chez nous, l’église de Salles, de Momignies ou encore de Montbliart était entourée d’un cimetière fortifié. Les chroniqueurs estiment que les cimetières fortifiés ont perdu de leur intérêt après le Traité d’Utrecht (1713), mettant fin à une longue série de guerres.

La tour ou le fort

Autre moyen de défense, disons plus « laïque » : l’édification d’une tour ou d’un fort au sein du village. Ce moyen de défense peut être classé comme « actif » (assiégé subit et peut faire subir). On ne peut pas parler de véritables forteresses. Ces ouvrages étaient de force diverse. Les tours avaient une forme carrée ou ronde. Il ne s’agit pas d’une architecture particulièrement puissante, bien que la tour de Villers montre une capacité de défense appréciable par la hauteur et l’épaisseur des murs. Le rôle de défense était souvent accentué par des obstacles extérieurs en utilisant la configuration du terrain (cours d’eau, étangs, mottes, etc.). Tant à Macon qu’à Villers, on constate que la rivière a une importance militaire : un cours d’eau, même étroit, joue un rôle défensif en compliquant l’approche des assaillants. C’était un véritable obstacle surtout quand il est « consolidé » par un large ou profond fossé. Les tours de notre région sont donc situées dans la vallée (sauf à Bailièvre). Toujours en matière de sûreté, l’entrée constitue le point vulnérable d’une forteresse. Un gage de sécurité est l’utilisation d’un pont-levis (comme à Macon) ou l’emplacement de l’accès en hauteur (Villers). Globalement, comme le souligne Claude Gaier[1], tant que les moyens d’attaque étaient inférieurs aux moyens de défense, c’est- à-dire jusqu’à la fin du XVe siècle, les populations rurales étaient en mesure de résister aux agressions, avec plus ou moins de succès. En règle générale, les tours comme les fortifications des églises rurales permettaient tout au plus de résister à des bandes de soldats peu organisées, isolées et en maraude. Ces systèmes de défense ne pouvaient tenir en présence d’une troupe structurée, pourvue d’artillerie.

En guise de conclusion

En principe, les moyens de défense retenus avaient un objectif : la recherche de la sécurité générale, en étant dissuasive et protectrice. Cet objectif ne visait pas à barrer la route à une armée, mais bien à protéger sa vie et à abriter ses biens. Cette protection était souvent vaine en présence de troupes militaires aguerries. Les moyens de défense « ruraux » étaient nombreux en Thiérache. Chaque bourg disposait de son édifice de défense passive. La vocation de défense de ces ouvrages a sans doute été réelle en constituant un réseau de points forts le long de la frontière. À part la tour de Villers, refusons le caractère militaire et de défense active aux ouvrages cités.

Ces édifices avaient surtout un objectif défensif pour la population. C’est aussi une illusion de penser que les populations des différents villages puissent trouver refuge dans les tours. Nous savons finalement peu de choses sur les fortifications édifiées au sud de Chimay. Les sources écrites et iconographiques consultées sont rares. La disparition physique des édifices ne nous aide pas. Bien des questions restent sans réponse. (a) Qui décidait de la construction d’édifice de défense ? Le droit de fortification est-il régalien ? (b) Avec quels moyens financiers ? (c) Qui traçait les plans et qui construisait la tour ou l’enceinte fortifiée ? Qui dirigeait un chantier ? Les sources littéraires sont muettes. Enfin, l’environnement politique a également changé à travers les siècles avec l’avènement des États modernes disposant d’un pouvoir central. Fin d’une époque basée sur le particularisme municipal : les vieilles franchises urbaines se sont subordonnées au pouvoir supérieur de l’État.

[1] Gaier, Claude : La fonction stratégico-défensive du plat pays au Moyen Âge dans la région de la Meuse moyenne. In : « Le Moyen Âge », 1963.

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