Émile Prisse d’Avennes (1807-1879) : un Avesnois en Orient, ingénieur, artiste, antiquaire… , égyptologue, archéologue, ethnologue


Compte rendu de la conférence donnée le 18 janvier 2023 par Marie Françoise Potier-Talon 


Prisse d’Avennes connut la gloire sous Louis Philippe et Napoléon III, mais aujourd’hui qui connaît encore cet ingénieur, artiste, voyageur-explorateur, égyptologue, archéologue, orientaliste, ethnologue ?
Certes en 2011, la Bibliothèque Nationale de France lui a consacré une exposition intitulée « Vision d’Égypte Émile Prisse d’Avennes (1807-1879) » soulignant le caractère exceptionnel de ce savant-artiste.

Prisse d’Avennes est issu d’une famille noble galloise catholique Price of Aven, installée au lieu-dit les Bringuettes à St-Hilaire-sur-Helpe dès le XVIIe siècle. Les Prices devenus Prisse s’unissent aux grandes familles avesnoises, participent à la vie communale et occupent des fonctions de magistrats : juges, avocats…

Achille, Constant, Théodose, Émile naît donc rue Cambrésienne à Avesnes-sur-Helpe le 27 janvier 1807 dans une famille bourgeoise, connue et respectée : les Prisse d’Avennes. Premier enfant d’Ignace Eugène Constant Prisse, Inspecteur des bois du Prince de Talleyrand au château du Pont de Sains et de Claire Constance Victoire Thérèse Pillot, dont le père est Procureur impérial. Deux ans plus tard, une sœur naît : Élisabeth Mauricette Constance Émilie Prisse.

Son enfance est marquée par des deuils, qui expliquent sans doute cette boulimie de travail, cette peur de perdre du temps car la vie peut être si courte…
Le souvenir de sa grand-mère maternelle Constance Louise Godefroy, décédée en 1794 à l’âge de 39 ans, est entretenu par son époux Théodose Pillot, qui, bien que remarié, lui voue un amour indéfectible. En 1812, il lui fait ériger un monument dans le jardin de sa maison. C’est un obélisque haut de 2.50 m ; nous le connaissons par un dessin aquarellé d’Émile Prisse.

Il n’a que sept ans lorsque son père meurt le 3 janvier 1814, victime du typhus contracté à l’hôpital d’Avesnes auprès des soldats qui y étaient soignés.
Sa mère, avec ses deux enfants de 7 et 5 ans, est alors aidée par son beau-père Constant Joseph Prisse et son épouse Émilie Femy. Ils prennent en charge l’éducation de leur petit-fils. Ce grand-père rêve d’une carrière d’avocat pour cet enfant très doué mais celui-ci, après des études au collège d’Avesnes, choisit d’entrer en 1822 à l’école des Arts et Métiers de Chalons-sur-Marne. Précoce et talentueux, il obtient son diplôme d’ingénieur à 18 ans et envisage de préparer l’École Polytechnique lorsque son grand père, son tuteur, meurt le 22 mars 1826. Il change ses projets. L’Orient le tente, mais il n’en a pas encore les moyens et part pour Paris où il publie quelques écrits sur l’industrie et les manufactures de France et d’Angleterre et participe au concours pour le monument qui doit décorer la place de la Bastille (1826). Son projet, dit « Fontaine de l’éléphant », n’est pas retenu.

Émile Prisse a 19 ans, il part à la découverte de l’Orient.
Première halte en Grèce : tout comme le peintre Delacroix et le poète Byron, Émile Prisse partage les désirs d’émancipation et d’indépendance des Grecs qui veulent se soustraire de la tutelle de l’Empire Ottoman. Il se mêle aux combats quelques semaines…, puis part pour l’Inde, la Palestine…, et arrive en Égypte en avril 1828.

En ce début du XIXe siècle, l’Égypte fascine et attire des esprits curieux de l’Europe. La Campagne d’Égypte de Bonaparte a permis une meilleure connaissance de l’Égypte. Champollion retrouve le fonctionnement complet de la langue des hiéroglyphes en 1822, grâce à la copie de la pierre trouvée à Rosette par le général Bouchard. L’égyptologie est en plein essor. C’est dans ce contexte qu’Émile Prisse arrive au Caire et entre au service du vice-roi d’Égypte Méhémet Ali (1804-1849) comme ingénieur civil et hydrographe. Il tente de répondre à la volonté de moderniser le pays en proposant des projets d’aménagement du Nil.

Émile Prisse d’Avennes en 1843

Émile Prisse d’Avennes en 1843

Il occupe plusieurs postes de professeur dans des écoles militaires. Il rencontre des saint-simoniens comme Prosper Enfantin et participe à leurs banquets du barrage du Nil. Toutefois les projets de Prisse ne sont pas retenus, la suppression des écoles militaires le prive de son emploi ; il choisit de devenir égyptologue et orientaliste « à temps plein » en 1836.

Ses nombreux contacts et un petit pécule lui permettent de poursuivre son exploration de l’Égypte. Il parle arabe et de nombreux dialectes, étudie les hiéroglyphes, il se passionne pour l’archéologie avec pour « moteur » la volonté de sauver de la destruction, donc de l’oubli, tout ce qu’il peut et surtout, il a un incroyable talent de dessinateur qui lui permet de fixer tout ce qu’il voit. La vente de ses dessins aux riches voyageurs désireux de découvrir l’Orient lui fournit un peu de ressources. Il vit à l’orientale, devient « Edris Effendi » (maître, seigneur), adopte les mœurs égyptiennes et s’installe dans une riche demeure à Louxor et il prend femme (se marie-t-il ?) ; elle s’appelle Chérifa Hanem, Soleyma (égyptienne , syrienne ?)

Cet autodidacte s’intéresse à tout : pratiques industrielles, flore, faune. Ses nombreuses aquarelles de la vie quotidienne, des femmes assumant des tâches domestiques et celles des harems révèlent aussi un véritable ethnologue. Il entretient une correspondance avec de nombreux égyptologues : Champollion, Lepsius, Mariette
Mais le projet le plus fou qu’il nourrit durant cette période est de démonter, pour le rapporter en France, la Chambre des Ancêtres de Thoutmosis III du temple de Karnak à Louxor.

La Chambre des Ancêtres de Thoutmosis III du temple de Karnak à Louxor

La Chambre des Ancêtres de Thoutmosis III du temple de Karnak à Louxor.

Il y parvient et, lors de son retour, l’offre à la France (elle peut être admirée au Louvre). Parmi les autres trésors qu’il ramène, figure un rouleau de papyrus datant d’environ 1900 av. J.-C. C’est l’un des plus anciens manuscrits littéraires de l’Égypte ancienne, constitué de deux recueils de sagesse adressés par des vizirs à leurs fils. Ce manuscrit porte aujourd’hui son nom : le « Papyrus Prisse ».

En reconnaissance de ces donations exceptionnelles, il reçoit la Légion d’honneur en 1845. Sa notoriété est grande, les amis sont nombreux ; sollicité de toute part il entre dans de nombreuses sociétés savantes. Émile Prisse pensait vite repartir en Égypte mais la situation politique (Révolution de 1848) n’est pas favorable aux nouvelles missions en Égypte. Par ailleurs, dès son retour en 1844, sa mère s’installe à Paris pour profiter de ce fils parti si jeune… Elle y décède le 6 février 1848 et c’est dans ses papiers qu’Émile trouve les recherches généalogiques. Il se passionne pour la généalogie et fait des recherches à son tour. Faut-il y voir un lien avec fait qu’il vient d’être père à nouveau en 1846 ?
En effet, il vient de fonder une famille avec Marie-Euphémie-Joséphine Bisiaux rencontrée à Paris. Cette nouvelle compagne de 23 ans lui donne un 1er enfant en 1846 – Namaléon, un 2e en 1849 – Eudol, puis un 3e Émile en 1852 et un 4e en 1855 – Tiburce. Cette situation nouvelle n’est peut-être pas étrangère à ce que son séjour en France se prolonge.

Photo retravaillée par le dessin (1858)

Photo retravaillée par le dessin (1858)

Mais c’est aussi le temps des désillusions, de l’incompréhension et des rivalités. Son ami proche Maxime du Camp qu’il a tant aidé, dresse de lui un portrait cruel et noir… Mais Prisse veut repartir, l’Égypte lui manque. Conscient que son travail reste inachevé, Prisse doit composer avec une nouvelle génération d’égyptologues ; la concurrence est de plus en plus rude. À partir de 1857, l’égyptologue français Auguste Mariette, de 14 ans son cadet, occupe le devant de la scène et c’est lui qui obtient les missions françaises.

Prisse a 51 ans et sa santé se dégrade… En 1858, Émile finit par obtenir une mission de Napoléon III, En fait c’est la 1re mission officielle. Elle dure deux ans. Il part accompagné du jeune photographe Athanase Jarrot et d’un lointain parent, le jeune peintre néerlandais Willem de Famars Testas ; désormais aucune mission sérieuse ne peut être conduite sans recours à la photographie. Cette mission est riche, dense, il a tellement de choses à faire et ses assistants se plaignent du rythme effréné ; quant à Prisse il se plaint du manque d’argent et multiplie les courriers pour essayer d’obtenir des subsides supplémentaires.

À son retour en 1860, il veut publier tout ce qu’il vient de ramener de cette mission. Il se consacre à l’écriture et fait de nombreux reportages dans des ouvrages de vulgarisation comme « Le Magasin pittoresque », et des articles auprès de sociétés savantes.
Et puis il retrouve sa compagne Marie-Euphémie et ses fils ; naissent alors deux filles : Prescilla en 1864 et Théodora en 1868.

Prisse a 61 ans, ses revenus sont modestes, ses publications ne lui rapportent pas énormé- ment d’argent. La gloire semble passée et les difficultés se multiplient…
En 1874, il doit refuser une nouvelle mission pour raison de santé. Les gênes financières s’accroissent et, après des démarches, il obtient en 1876 deux indemnités annuelles de 600 francs, l’une littéraire et l’autre artistique, du ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts en récompense de ses travaux.

Le 6 octobre 1876, il décide d’épouser sa compagne de plus de 30 ans, Euphémie Marie Joséphine Bisiaux à Paris dans le VIIe arrondissement. Le même jour, il reconnaît quatre enfants : Eudol, Émile, Priscilla et Théodora.

C’est dans la misère que meurt Prisse d’Avennes à Paris le 10 janvier 1879, à l’âge de 72 ans, rue Dutot dans le 15e arrondissement et dans l’indifférence presque générale. Il est inhumé au cimetière d’Ivry avec les honneurs militaires. Quelques années plus tard, le 28 juin 1884, son épouse fait transférer son corps au cimetière de Montparnasse.

En 1889, le souvenir de Prisse réapparaît pour le 10e anniversaire de sa mort, l’État commande un buste en marbre blanc au sculpteur Roussel pour orner le département d’égyptologie du Louvre. Quelques années plus tard, Paris et Avesnes-sur-Helpe lui rendent hommage en donnant le nom de Prisse d’Avennes à une rue, en 1897 à Paris, dans le 14e et en 1911.

Comme on le voit Émile Prisse d’Avennes a eu une vie trépidante et a consacré sa vie à l’Égypte. Il a cotoyé les plus grands, connu l’aisance, les honneurs la gloire mais sa fin de vie fut difficile et il connut la misère et l’oubli. Il a immortalisé des monuments aujourd’hui disparus. C’est un des rares égyptologues à s’être intéressé à l’ensemble de la culture égyptienne et c’est en cela que son travail reste une source toujours d’actualité.

SAHAA, janvier 2023, Marie-Françoise Potier-Talon


Émile Maxime Prisse d’Avennes, soucieux d’entretenir la mémoire de son père, a écrit une biographie (parfois proche de l’hagiographie) qu’il offrit à la société et entretint des contacts réguliers avec MM. Tordeux et Maire de la SAHAA. Il légua à la société des courriers, dessins, livres, photos ayant appartenu à son père. Ses dons s’échelonnèrent sur plusieurs années et constituent le fonds Prisse d’Avennes.

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