Le retable de Renlies


Compte rendu de la conférence donnée le 15 mars 2023 par le Dr  Bernard Cuisenaire


 Non daté, le retable en bois sculpté qui orne le fond du chœur de l’église de Renlies est un illustre représentant des retables anversois de la première moitié du XVIe siècle, entre 1530 et 1540.

Le retable de Renlies, avant et après le vol de 1979

Le groupe MOREAU

Il fait partie des retables attribués au maître sculpteur « Moreau ». Cette appellation est suggérée par Joseph de Borchgrave d’Alténa, en 1957, pour définir un groupe de retables construits sur le même mode qui les caractérise : une travée centrale plus élevée et à dôme en plein cintre et des contours latéraux à volutes douces qui se poursuivent sur les travées latérales de chaque côté. Chaque travée est partagée en deux niveaux constituant six compartiments pour accueillir les différentes scènes sculptées. La partie sculptée centrale est entourée de volets peints sur les deux faces, articulés par des charnières, qui peuvent être ouverts ou refermés sur le retable. Le retable est posé sur un autel à volets peints : la prédelle, et, au-dessus de la travée centrale, une pièce sculptée : l’édicule, termine l’ensemble de l’ouvrage. Dix-neuf retables constituent le groupe « Moreau » ce qui est révélateur d’une production intense et optimalisée sur un mode commun , dirigée par « un entrepreneur ». Les retables passent dans plusieurs ateliers (huchiers, sculpteurs, polychromeurs, doreurs, peintres), la huche étant divisée en deux ou trois parties pour faciliter le transport. La huche et les personnages sculptés sont taillés dans du chêne originaire de la région de la Baltique, où la croissance des arbres est la plus lente. L’étude des pièces sculptées démontre qu’on ne peut pas attribuer l’ensemble de la production à un même artiste et qu’il faut plutôt chercher le Maître Entrepreneur dans les peintres flamands : Pieter Coecke van Aelst ou ses élèves. L’appellation « groupe Moreau » reste pratique même si elle n’est plus justifiée.

Le retable de Renlies

Le retable de Renlies constitue la partie centrale sculptée, les volets et la prédelle ont disparus. Subsistent sur les contours latéraux les emplacements des charnières. Il mesure 2,30 m sur 2,75 m. Malheureusement, en 1979, des voleurs ont sérieusement dégradé l’œuvre emportant 35 des 55 personnages sculptés. Depuis le vol, onze sujets et une scénette ont été retrouvés et replacés. La présentation de l’œuvre nécessite l’utilisation concomitante des photographies faites avant le vol et du retable dans l’état actuel. Les six compartiments représentent les scènes de la Passion du Christ. À la manière d’une bande dessinée, on peut suivre les mêmes personnages évoluer d’une scène à l’autre. La lecture se fait de gauche à droite, d’abord les trois scènes du registre inférieur, puis les trois scènes du registre supérieur. On découvre sept petites scènes supplémentaires sur les côtés et les montants séparant les scènes, et au-dessus de la scène centrale.

LA FLAGELLATION (en bas, à gauche), représente le Christ, au centre de la scène, dévêtu jusque la ceinture, en proie aux gardes du grand-prêtre. À l’arrière, trois pharisiens sont en discussion. Le plancher de la scène, en damier noir et blanc et légèrement incliné confère un effet de perspective entre les personnages de l’avant-scène et ceux du fond de scène. Il reste maintenant un soldat, le Christ et trois pharisiens dont un fragment. Il faut noter que le Christ n’est pas un bois sculpté mais un personnage en « carton pierre » assez grossièrement dessiné et qui relève d’une restauration discutable de 1868. Détail interpelant : les voleurs de 1979 n’avaient pas emporté ce personnage !

LE PARVIS DE PILATE (en bas, au centre). Pilate présente le Christ à ses accusateurs juifs (qui ne sont pas autorisés à entrer au palais) et ne trouve rien contre lui ! En bas des marches du parvis, les pharisiens réclament qu’il leur soit livré pour être crucifié. Des deux côtés du parvis, des petits personnages en bas-relief observent la scène. L’effet de perspective résultant du plancher incliné et de la taille différente des trois groupes de personnages est particulièrement réussi ; Le maniérisme des attitudes, les expressions caricaturales des visages et le drapé des vêtements sont manifestement typiques de la Renaissance. Il ne reste malheureusement, après restitution et restauration, que trois personnages : un garde, un soldat romain et un pharisien et le décors du fond avec les bas-reliefs.

LE COURONNEMENT D’ÉPINES (en bas, à droite). Le Christ, au centre, assis sur un trône et revêtu d’un manteau rouge est coiffé d’une couronne d’épines par les trois bourreaux qui l’entourent, sur le côté gauche pharisiens et gardes discutent de l’usage à faire du prix de la trahison de Juda, un pharisien occupe le fond de scène. Il ne reste que deux personnages du groupe de gauche retrouvés et replacés.

LE PORTEMENT DE CROIX (en haut, à gauche). Le Christ est tombé à genou sous la croix, le visage relevé et tourné à l’extrême vers la gauche. Simon de Cyrène soutient le montant de la croix. Les bourreaux sont autour : celui de gauche porte dans un panier les outils de la crucifixion, les deux autres tentent de le faire se relever sous la surveillance d’un soldat. Agenouillée à l’avant-scène, Véronique étend le voile où le visage du Christ va s’imprimer. À l’arrière, une des trois « Marie », mains croisées sur la poitrine, observe la scène. Marie, la mère de Jésus, tombe en pamoison soutenue par Saint Jean. Deux personnages indifférents à la scène poursuivent leur chemin en sifflotant. Tout au fond, petits personnages en haut-relief, un cavalier aborde un pont levis et un ouvrier se rend au moulin portant un fléau sur l’épaule. Après le vol et les restaurations, des personnages de l’avant-scène, il ne reste que le bourreau portant les outils, un fragment de la croix avec l’avant-bras de Simon de Cyrène et sa tête coiffée d’un haut chapeau. Les personnages de l’arrière et du fond sont parfaitement conservés. On peut découvrir deux « nouvelles têtes » : saint Jean à la chevelure rousse bouclée, abondante et Marie au visage pâle dont les traits sont à peine suggérés et aux vêtements plissés laissant voir la forme des genoux par transparence et la ceinture ventrale, symbole de sa fertilité. Deux petites scènes ornent les montants latéraux : à gauche, Caleb et Josué rapportent sur une perche une énorme grappe de raisin de la terre de Canaan (Les Nombres 13,23) et à droite, Jésus, dont le corps n’est revêtu que du linceul (signe de sa résurrection) rejoint les apôtres au bord du lac de Tibériade (Ev. St-Jean 21,4-6)

LA CRUCIFIXION (centre du retable, en quatre parties de bas en haut). L’ensemble des trois premières parties représente la montée au calvaire et le Christ en croix. La représentation est articulée dans une double spirale épaisse de bois sculpté et doré qui s’enroule depuis le bas du compartiment jusqu’au sommet de la croix. Cette particularité confère à l’ensemble un mouvement ascendant représentatif de la montée au calvaire et porteur du symbole du serpent d’airain (la mort du Christ source de vie). Le premier groupe qui représentait la vierge Marie en pamoison soutenue par Saint Jean a disparu lors du vol et doit, aujourd’hui, garnir la cheminée d’un receleur. Le reste du compartiment est conservé. Marie Madeleine sciée à la base et décapée de sa polychromie est représentée avec une coiffure abondante couverte audessus par un élégant et ostensible chapeau, bouche aux lèvres épaisses, regard attendrissant, charnelle. Son habit laissant paraître le cou et le haut du torse est riche et ouvragé. Le corps est entièrement pris dans le mouvement de rotation qui anime toute la scène. Un soldat romain au corps musclé et un cavalier de la garde poursuivent le mouvement de vrille. Un peu en arrière un garde moustachu s’entretient avec une servante et à côté, la vierge Marie est tournée vers l’autre Marie, sœur de Lazare.

La deuxième partie nous présente le pied de la croix. De gauche à droite, le centurion romain répond aux critiques de deux pharisiens à propos de l’inscription « INRI » un cavalier poursuit le mouvement ascendant et tournant vers l’arrière de la croix et à côté, le soldat Longin porte la lance dont il percera le côté du Christ. À ce niveau, deux petites scénettes représentent à gauche le sacrifice d’Isaac et la montée d’Abraham et Isaac vers l’endroit du sacrifice, et deux autres, à droite, la nativité et le baptême de Jésus.

La troisième partie nous montre le Christ en croix. À sa gauche, le mauvais larron semble avoir perdu la vie : le corps est douloureusement tordu sur sa croix en « tau », le démon à tête de bouc et corps de femme au sexe largement ouvert a ravi l’âme de Gestas. À côté, un angelot à la barbichette lève le calice qui récoltera le sang et l’eau sortis de la plaie du côté du Christ. Derrière l’angelot, Joseph d’Arimathie et Nicodème étendent le linceul dont ils couvriront le corps du crucifié. À la droite du Christ et dans l’axe de son regard, le bon larron, Dismas, personnage ravissant : à la chevelure bouclée blond doré, barbe et moustache belles et sans excès, visage plein de sérénité, petit boléro, pantalon ajusté, attitude corporelle maniérée, doigts des mains et des pieds finement sculptés et légèrement fléchis. Le décor en bois doré finit la spirale comme un emballage qui s’effiloche en arrière de la croix et du bon larron. Sur le côté un pharisien observe la scène. Juste derrière le croisillon de la croix, un groupe de tout petits personnages en haut-relief, invisible d’en bas, représente le peuple hébreu passant la mer rouge dont Moïse écarte les flots avec son bâton.

La quatrième partie, tout en haut, représente le Christ aux Limbes. Son corps nu n’est recouvert que du linceul, il tient dans la main gauche une croix victorieuse et de la main droite, il tire par le poignet le bon larron bien reconnaissable. À l’arrière, Adam et Eve nus attendent à la porte du paradis. Sur les deux côtés les flammes de l’enfer !

LA MISE AU TOMBEAU (en haut, à droite). À l’avant, Marie Madeleine agenouillée, l’autre Marie debout et un pharisien ont été emportés par les voleurs. Le corps, sur son linceul, est allongé sur le tombeau de pierre. Soutenu aux épaules par Joseph d’Arimathie et aux pieds par Nicodème (Nigaud au bec de lièvre et au chapeau fantaisiste) . En arrière, Marie soutient de sa main gauche le bras du Christ, Jean soutient la Vierge Marie en détournant le regard ; La douleur intense est perceptible dans tous ces visages parfaitement sculptés. Le double jeu des regards qui se croisent et des mains qui se supportent créent un sentiment d’extrême intimité. C’est probablement la scène la plus artistique de ce retable. Sur le fond, on aperçoit la descente de la croix et une pamoison de la Vierge. Du côté gauche, une scénette représente Pierre agenouillé au pieds du Christ au Lac de Tibériade et du côté droit les disciples d’Emmaüs reconnaissent le Christ à la fraction du pain.

L’Authenticité du retable

À de nombreux endroits, la main d’Anvers, marquée au fer rouge atteste son origine anversoise et la conformité de la représentation selon les normes dictées par la guilde Saint-Luc.

Il est invraisemblable que cette œuvre ait été destinée à l’église de Renlies à l’origine. Elle pourrait y avoir trouvé un refuge lors d’une période mouvementée de l’histoire. Nos recherches dans les archives semblent privilégier l’abbaye de Liessies mais aucune trace écrite ne confirme cette hypothèse. Au stade actuel, la date la plus ancienne où il est fait mention d’un retable en bois sculpté, dans l’église de Renlies, nécessitant réparation et restauration, est 1844 ! Une visite à l’église de Renlies est certainement la meilleure façon d’apprécier la beauté du bâtiment, témoin remarquable de l’architecture religieuse en milieu rural, et son retable, trésor d’art religieux du XVIe siècle. Une baie vitrée fermant un sas à l’entrée de l’église permet de voir de loin et sans éclairage. Ce système qui a pour objectif de protéger du vol et des dégradations n’est évidemment pas satisfaisant pour apprécier l’œuvre en détail ! Prendre contact avec un membre de la fabrique pour obtenir la clé ou organiser une visite.

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