Découverte fortuite d’un cimetière des environs l’An Mil, au chemin des Maures à Virelles


Compte rendu de la conférence donnée le 20 avril 2022 par Nicolas Authom & Frédéric Chantinne


En février 2021, des ossements ont été découverts à Virelles lors des terrassements préalables à la construction d’une maison privée. Comme la règlementation le prévoit dans ce cas, le chantier a été arrêté et les autorités prévenues. Un rapide examen des squelettes en connexion anatomique a pu confirmer qu’il s’agissait bien d’un cimetière ancien, datant du début du moyen âge.

La découverte, toute fortuite qu’elle soit, ne serait pas la première de ce type sur le chemin des Maures : Raymond Chambon, dans son Pays de Chimay fait état de la découverte d’un cimetière franc en 1927 au « chemin des Morts ». La rumeur locale, quant à elle, évoque aussi des découvertes d’ossements lors de la construction des maisons voisines dans la seconde moitié du 20e s., découvertes qui n’auraient pas été déclarées pour ne pas retarder les chantiers.

Situation du chantier de fouille

La découverte confirmée, des fouilles furent diligentées par le SPW, sous la responsabilité de Nicolas Authom et de Frédéric Chantinne ; une équipe fut constituée : quatre terrassiers spécialisés et quatre anthropologues bénévoles.

Les fouilles se limitent à la partie déjà excavée par l’entrepreneur, soit une zone de 120 m². Les travaux durent quinze jours ouvrés, en vue de rendre la jouissance de site à ses propriétaires. Après analyse du site, les squelettes furent enlevés pour être analysés à l’Institut des sciences naturelles et conservés. Les analyses sont toujours en cours.

37 tombes ont été retrouvées sur le site fouillé. Sachant que la partie sud des fondations avait déjà été irrémédiablement abîmée par les engins de chantier, on peut estimer potentiellement à 800 tombes le contenu de cette cette propriété, sans préjuger de l’étendue du cimetière sur les propriétés voisines.

Les tombes furent retrouvées à faible profondeur. Cela peut s’expliquer par le fait que le site est situé sur un plateau qui surplombe l’Eau Blanche : 1000 ans de ravinement ont pu réduire significativement la couche de terre qui recouvre le site.

Il s’agit d’un cimetière en plein champ, qui contraste avec les cimetières biens limités par des murs ou des fossés et dépendant d’une église, caractéristiques des époques où la religion chrétienne imposait d’inhumer dans une terre consacrée. Le cimetière fut donc daté, en première analyse du 8 ou 9e siècle, soit la fin de l’époque mérovingienne.

La fouille du site a profité de techniques modernes, comme la synthèse 3D, qui permet de reconstituer un plan en trois dimensions en recombinant informatiquement les photos prises sur le site des fouilles.

Les sépultures sont bien réparties, sans recouvrements (en fait, seuls deux recouvrements on été constatés), ce qui témoigne d’une réelle gestion du site funéraire en vue de respecter ceux qui sont déjà inhumés. On voit également une volonté de regroupement, sans doute familial, de corps qui n’ont pas étés enterrés en même temps. Les corps sont tous orientés les pieds vers l’Est, comme de coutume à cette époque, avec cependant de légères variations, comme si, au cours du temps, les repères d’orientations avaient changé pour des raisons qui nous échappent ; sur la partie fouillée, on distingue ainsi quatre groupes dont l’orientation ne diffère que de quelques degrés. Deux à trois générations d’individus y sont inhumés. Les corps sont placés dans des fosses anthropomorphes (pratique carolingienne). Les têtes sont calées par des pierres, soit par une entaille dans la roche (encoche céphalique). La plupart des défunts sont inhumés dans un linceul (le drap du lit où ils sont mort), pratique moins coûteuse même s’il est arrivé qu’on retrouve des clous qui suggèrent l’utilisation d’un couvercle en bois, voire d’un cercueil. Une des sépultures fouillées présente une maçonnerie autour du corps (caveau). On a retrouvé sous le corps de certains défunts, un tesson de céramique, qui semble avoir été posé là de façon délibérée – survivance d’une pratique païenne à une époque (transition mérovingienne/carolingienne) où la coutume d’enterrer le défunt avec des objets personnels est désormais interdite par les autorités religieuses ?

Comme précisé avant, le fait de se trouver devant un cimetière en plein champ, suggérait un cimetière de la fin de l’époque mérovingienne, début de l’époque carolingienne. L’analyse au 14C a finalement « rajeuni » le site de 200 ans, le situant entre 990-1120 (à 95% de fiabilité). ou encore entre 990-1030 (à 70% de fiabilité), en contradiction avec les règles communément admises par les historiens.

Historiquement, la création de l’agglomération de Virelles n’a jamais été étudiée. Situé à deux pas de Chimay, Virelles est sur un axe routier très ancien. Une première mention de Virelles est faite dans le polyptyque de Lobbes fin 9e s. et disparait des écrits jusqu’à la fin du 12e s. (bulle de Lucius III, en 1182 qui confirme les droits paroissiaux détenus par le Chapitre de Chimay (fondé en 944), directement lié et dirigé par la famille de Chimay).

La région de Chimay semble organisée en un réseau de plusieurs églises et paroisses, dont la principale est l’église de Sainte-Monégonde, mise au jour sur le site du château. Par exemple, il est fait mention dans la bulle de Lucius de l’église de Vaulx attachée à l’église de Virelles, elle-même dépendante du Chapitre.

Y-a-t-il eu une réorganisation complète de la distribution des paroisses à la création du chapitre qui justifie le déplacement d’une église, la création d’un nouveau cimetière et l’abandon du cimetière étudié ?

Ou :

Sur une même entité il peut y avoir coexistence de plusieurs communautés dépendant de différentes institutions. Par exemple à Waha, on a une église qui dépendait des Prémontrés de Floreffe et d’une église dépendant de Saint-Hubert, soit deux paroisses à peine distantes d’une centaine de mètres. Autre cas de figure, du côté de Liège, on a Saint-Pierre, qui dépendait de l’Abbaye de Stavelot et, à un jet de pierre de là, une église qui s’établit et disparaît rapidement. Bref on peut avoir plusieurs communautés qui cohabitent. Virelles dépendait-il encore de Lobbes jusqu’à ce tournant de l’an mil ? Rien ne permet cependant de l’affirmer.

Quant à l’avenir du site, des réflexions et des négociations sont en cours entre la ville, les propriétaires et la Région wallonne en vue de la protection et du respect d’un site désormais funéraire et et d’intérêt archéologique. Les propriétaires, ayant finalement choisi d’arrêter les travaux de construction, négocient un dédommagement, par rapport à une situation non voulue.

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