Les cent ans de la laiterie Sainte-Anne de Forges 1


Compte rendu de la conférence donnée le 17 novembre 2021 par François Berger 


Les fermiers de la fin du 19e siècle pensent qu’ils pourraient faciliter leurs tâches en se regroupant et en investissant dans du matériel moderne. Ils envisagent de profiter de deux atouts majeurs offerts par l’essor de la technologie : la vapeur et la force centrifuge. Mais, les jeux politiques compliquant la donne, on va plutôt vers deux nouvelles coopératives, une à Seloignes et une à Forges. Seloignes va réunir des fermiers à tendance libérale (d’où la dénomination Riches Pâturages) tandis que les fermiers à tendance catholique se réunissent à Forges (où sera créée la laiterie Sainte-Anne).

C’est l’abbé Baudouin, curé de Salles, associé à Alphonse Coulonval, ingénieur agronome, qui créèrent la coopérative laiterie Ste-Anne le 26 juillet 1897. Cette coopérative avait notamment pour but d’aider les jeunes fermiers, qui voulaient s’installer, à acheter du matériel de laiterie. Le site d’implantation de la laiterie Sainte-Anne fut choisi à côté d’une une source d’eau d’une grande pureté, gage de qualité pour un beurre dont la renommée ne se fit pas attendre.

Quelques petites laiteries se sont créées sous la direction de la laiterie Ste-Anne : une crémerie à Salles, une laiterie à Macon, une crémerie à Gonrieux, une laiterie à Grandrieu. Dans chacun de ces centres, on adjoint un magasin de denrées pour le bétail. La laiterie Ste-Anne récoltait à ses débuts 10 000 l de lait par jour à la bonne saison.
En 1939 la laiterie Sainte-Anne compte huit personnes pour ramasser le lait dans les villages :

  • à Bourlers, Marc Louette ;
  • à Baileux, Louis Armand ;
  • à Rièzes, Jules Andrieu ;
  • à Forges, Elisée Huart ;
  • à Virelles, Gabriel Dardenne ;
  • à Villers la tour, Alphonse Elise ;
  • à Lompret, Néry Descamp.
Avez-vous une idée de l’évolution du prix du beurre ?

  • 2,40 francs en 1897
  • 3,20 francs en 1900
  • 18,00 francs en 1920
  • 30,00 francs en 1935
Et les salaires ? En 1940 ça variait de 115 francs à 300 francs par mois selon les qualifications pour les ouvriers et, pour les employés administratifs, de 600 à 900 francs par mois. Comparons avec nos euros actuels :

  • un ouvrier gagnait de 3 euros à 7,50 euros par mois ;
  • un employé gagnait de 15 euros à 22,50 euros par mois.

Triage des cruches

Fabrication du lait en poudre (ancienne technique)

Les différents directeurs qui se sont succédés :

  • Alphonse Marlier jusqu’en 1940 ;
  • Georges Marlier en 1940 pour remplacer son frère absent ;
  • Louis Marlier de 1941 à 1956, le fils d’Alphonse ;
  • Jean Radomme de 1956 à 1975 ;
  • Georges Goffin de 1975 à 1987 ;
  • Cyprien Benoit de 1987 à 1991 ;
  • de 1991 à 1995 la laiterie Sainte-Anne est placée sous concordat judiciaire géré par un avocat et J.-M. Marlier alors président du conseil d’administration.
  • De 1995 à 1997 par François Berger qui a racheté la laiterie Sainte-Anne mise en faillite.

Évoquons l’épisode de la guerre de 1940-45. Du 6 au 28 juin Hitler est à Brûly de Pesche. Dans l’armée de l’envahisseur, il y a des fils de fermiers qui vont traire les vaches de la région pour se nourrir eux-mêmes et pour ravitailler l’armée allemande. Tous les fermiers des 47 communes seront obligés de fournir leur lait à la laiterie, cela représente 1250 fermiers ; l’occupant peut ainsi prendre facilement le contrôle de toute la production. Alphonse Marlier décède le 5 août 1942 ; Louis, son fils, avait déjà repris la direction en 1941.
En 1945, la guerre se termine et la laiterie Sainte-Anne reprend ses activités normales, mais en y ajoutant une section ménagère pour travailler avec les nombreuses épiceries de la région. Trois représentants seront engagés, dont Gaston Constant qui, après avoir servi sa patrie dans la résistance, a fait l’objet l’an dernier d’une conférence dans ce local.

Je voudrais vous citer quelques employés que j’ai bien connus et qui étaient jeunes en 1940 Edgard Serville, Gaston Hardy, Paul Debus, Maurice Willain, Alfred Moncomble, Yves Hallet et Paul Stoclet. Il y avait aussi alexandre Lurkin, de Bourlers, responsable du magasin alimentation.

Voici une petite liste des aliments et objets vendu dans cette section :

  • le café Sainte-Anne de 22,75 à 38 francs le kilo,
  • les confitures Materne,
  • la chicorée,
  • les caramels,
  • les pralines,
  • le cacao Kwatta,
  • les biscuits,
  • des torchons,
  • des brosses,
  • des bougies,
  • de l’amidon.
Ma carrière dans cette société. J’y suis entré le 4 juillet 1961 et y suis resté jusqu’à la fin de ma carrière professionnelle. Je gagnais 17 francs belges de l’heure, soit un peu moins que 0,50 euro. En 1963 je pars au service militaire et me retrouve musicien au 3e de Ligne en Allemagne. De retour à la vie civile, en 1964, je reprends mon travail à la laiterie Sainte-Anne et apprends à pasteuriser le lait et, à l’occasion, je remplace François Andrieu pour peser les laits fournis en cruches. C’est à cette époque que l’office national du lait crée des comités provinciaux en vue d’améliorer la qualité du lait venant des fermes.

Venons-en à la fabrication de la poudre de lait : le lait coulait régulièrement sur de gros rouleaux creux chauffés à la vapeur, séchait et était finement broyé en poudre. Cette poudre était vendue principalement dans les biscuiteries, les boulangeries et le surplus aux firmes qui fabriquaient des aliments pour le bétail. En 1966, cette machine à rouleaux sera remplacée par une tour moderne de séchage. La construction de la nouvelle poudrerie est confiée en 1965 à la société Alfa Laval, de Nevers, et sera fonctionnelle en 1966. Cette tour de séchage de 24 m de hauteur pourra transformer les 15 000 litres de lait à l’heure, soit une production de 1500 kg de poudre à l’heure. La responsabilité du fonctionnement de cette tour sera confiée à Willy Serville de Baileux. Avec cette nouvelle installation, la poudre de lait fabriquée était de grande qualité et on servait des clients très exigeants, telles que la société des chocolats Cote d’or et de nombreuses grandes biscuiteries. Une nouvelle société se crée : c’est la naissance de la « Centrale laitière du pays de Chimay » qui regroupe la partie laitière de la laiterie Sainte-Anne, de la laiterie de Seloignes, de Merbes-le-Château, de Laco de Nalinnes et de Ghilengien. Cette nouvelle société va racheter la laiterie de Boussu-lez-Walcourt. La laiterie de Cul-des-Sarts avait été reprise par la laiterie Sainte-Anne en 1965. Cette nouvelle société Centrale laitière du pays de Chimay va devoir innover et s’agrandir, de 30 000 litres de lait récoltés journellement en 1965, on va passer à 160 000 litres en période de pointe. On va tout moderniser et le point principal sera de ramasser le lait avec des camions citernes. Michel Calice de Baileux conduit le premier camion d’une capacité de 3 000 litres. On passera rapidement à des citernes de 5 000 litres et 6 000 litres.

En mai 1967, on a commencé la fabrication du fromage le Rians frais qui a occupé quatre dames jusqu’en 1975. Rians est une petite commune entre Bourges et Nevers dans le Cher. On travaillait sous licence.
Malheureusement, les petits fermiers vont commencer à disparaître ; des plus grosses fermes seront équipées de cuves refroidissant le lait et le ramassage par cruches devient obsolète. L’office national du lait va effectuer des contrôles pour aboutir à une meilleure qualité de lait pour la production de produits finis.

Histoire du fromage des Révérant Pères trappistes

En 1958, la laiterie Sainte-Anne est un peu en difficultés financières et les Révérants Pères, actionnaires de la coopérative, en profitent pour demander à la laiterie Sainte-Anne de fabriquer leur fromage car ils ne savent pas suivre la demande et la laiterie traite tout le lait nécessaire. Dans un premier temps, on va fabriquer de 250 à 500 kg par semaine. Les fromages passent une nuit à la laiterie Sainte-Anne dans un bac de saumure et sont expédiés le lendemain dans les caves de l’Abbaye de Scourmont afin d’y être muris pendant environ trois semaines. Les caves sont gérées par le R.P. René, mais celui-ci est un peu fantaisiste et n’a pas les qualités requisses pour mener à bien la maturation des fromages.

Fabrication des fromages à la trappiste

L’abbaye fait alors appel à la laiterie Sainte-Anne pour avoir un technicien valable et le choix se tourne vers André Majois. En 1973 André est rappelé à la laiterie à Forges pour des fonctions plus importantes et c’est François Berger (votre serviteur) qui va le remplacer jusqu’en 1975, date à laquelle les relations Abbaye et laiterie Sainte-Anne vont se briser. Une nouvelle fromagerie sera construite sur le zoning de baileux car,
entre-temps, le fromage des Révérants Pères de chimay se vend de mieux en mieux.

En 1972, on fête le 75e anniversaire de la laiterie Sainte-Anne et de la laiterie de Seloignes ; Ces sociétés, jusque-là concurrentes, s’étaient rapprochées en 1966, pour des raisons financières. Le ministre de l’Agriculture, Léo Tindemans, devait être présent, mais comme, un peu avant, il avait interdit la tenderie aux oiseaux, les tendeurs avaient annoncé qu’ils viendraient manifester ce qui aurait gâché une belle fête. On a donc pris des dispositions avec la gendarmerie : une autopompe était cachée dans le couloir du magasin Ste-Anne, de même qu’un véhicule cellulaire et une douzaine de gendarmes, venus en renfort de Charleroi. La fête s’est très bien passée malgré la présence des tendeurs qui attendaient le ministre dans la prairie jouxtant la laiterie Sainte-Anne, …mais le ministre n’a pas osé venir ! Ce fut une grande fête, avec les discours du gouverneur de la province et des directeurs. Il y avait environ 1 400 invités (fermiers), on y a vidé 500 bouteilles de champagne, dégusté 5 000 zakouskis, le tout servi par l’école hôtelière de Couvin. On avait neuf gardes, les plus sportifs du personnel, les plus costauds de la laiterie au cas où, mais tout s’est super bien passé.

En 1975, il y aura également une grande restructuration des laiteries wallonnes, commandée par le ministre de l’Agriculture et tout le lait va filer vers une nouvelle société qui aura son siège à Recognes dans les Ardennes. Les activités laitières de forges vont donc s’arrêter. Le directeur de la laiterie Sainte-Anne va alors gérer le magasin d’aliments pour bétail et on y ajoutera une section jardinerie et divers articles allant des poêles à bois, charbon et chaussures de sécurité, vêtements de travail et bien d’autres.

Ma conclusion, tout à fait personnelle, sera sévère. Si en 1966, lors de la création de la Centrale laitière du pays de Chimay on avait modernisé les structures de la société en supprimant un siège, soit Seloignes, soit Forges, peu importe, et en adoptant un magasin unique au lieu de ceux en concurrence, la laiterie aurait continué à vivre dans notre belle région et 195 personnes auraient gardé leur emploi.


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Commentaire sur “Les cent ans de la laiterie Sainte-Anne de Forges

  • Emmanuel VAN DEN DOOREN +32 477 415 286

    Oui l’histoire à la fois glorieuse et sombre des laiteries Wallonnes (pour la plus part coopératives) d’après guerre. Dès 1966 , à la demande de l’Europe, l’état Belge avait injecté beaucoup d’argent pour restructurer le secteur laitier Wallon. En dehors de la région liégeoise (existence du groupe Interlait) l’objectif était de créer par province un inter coopérative.
    C’est ainsi que fût créé ILA à Recogne en province de Luxembourg, FLOREL à Floreffe pour la province de Namur et Centrale Laitière du pays de Chimay.
    Aucun de ces divers regroupements n’a pu accéder à un bon fonctionnement économique et les difficultés financières se sont accumulées.
    Suite à cette situation, une restructuration de toutes ces inter coopératives a été exigée par le ministère d’agriculture tout en y injectant un milliard de FB, intérêt symbolique d’environ 3%/an (inflation à l’époque plus de 7 %/an) remboursable en 30 ans !Cette restructuration sous le contrôle du groupe Interlac à Dison a entrainer la fermeture immédiate des laiteries de Floreffe, Laco (Nalines) Forges, Ghilenghien; tout le lait sera acheminé vers Recogne, la coopérative Sud Lait fût crée. Cette restructuration n’est jamais parvenue a être compétitive et garder ses producteurs de lait. La dette n’a jamais été entièrement remboursée. En 1989 le groupe Interlait -Sud lait ont formé une seule coopérative LAC + (plus) avant de tomber dans le giron du groupe Français “BONGRAIN ” . En 2001 le groupe Français s’est retiré de la collecte du lait en Belgique. La laiterie de Dison (lait de cons) fût fermée dans la foulée. Les coop Lac+ et Chéoux, reprirent à 50 % les rennes de la collecte de 475 millions de litre de lait et l’usine de Recogne. La rentabilité était directement au rendez vous et de gros investissements ont été engagés depuis la reprise.
    Un mot, à propos de Coferme, Bernard Calissis, conseiller des Moines de Chimay, ensemble décidèrent, suite aux craintes de fermeture de Forges, vers les années 1975 décidèrent de former une coopérative de collecte de lait, dont le gérant était M Jean Sybile ortho?; ainsi qu’une fromagerie à Bailleux.
    Depuis (2010) les coop Lac + et Chéoux ont fusionné, devenu LDA (laiterie des Ardennes) .
    Ainsi va la vie !!!! Chéoux (David qui a terrassé Goliath)