Promenade à Chimay – Deuxième partie



Compte-rendu de la conférence donnée le 22 avril 2015 par Jacques Buchin


Pour diverses raisons, dont celle d’éviter un traitement trop superficiel des sujets abordés, lequel amènerait à y revenir ultérieurement, il a été décidé d’approfondir chacun d’entre eux dans l’ordre de leur rencontre au cours de la « Promenade ».

Avant d’entamer celle-ci, on réparera d’abord les oublis. En fin de session précédente, s’imposaient trois compléments. L’existence, dès le 16e siècle, d’un large sentier orienté nord-ouest/sud-est, joignant le bas de la rue de Forges et la presque extrémité ouest de la rue Reine-Astrid. Connu sous les noms de chemin des Juifs et enfin Faux Chemin peu avant sa disparition, il fut intégré à différentes propriétés occupant aujourd’hui l’ensemble du terrain vague qu’il traversait jadis [Figure 1.1].

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Figure 1.1 Situation du Chemin des Juifs

Seconde précision : depuis bien avant le 15e siècle, en bordure sud de l’ancien jardin des arbalétriers, existait jusqu’aux années 1865-1870 une courte ruelle appelée rue du puits, auquel puits elle conduisait [Figure 1.2]. L’installation de la distribution d’eau la rendit alors inutile.

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Figure 1.2 La ruelle du Puit

Troisième et dernier détail, la pierre armoriée qu’on peut voir de nos jours au-dessus de la porte de leur actuel jardin, rue de Virelles, est celle que les arbalétriers ont emportée lors de leur dernier transfert. Son millésime 1667 indique donc en réalité la date d’inauguration de leur précédente propriété, mentionnée plus haut.

Il est ensuite montré combien les nombreux plans de Chimay, aux caractères particuliers qu’il serait trop long de reprendre ici, présentent une fiabilité aléatoire qui doit être vérifiée par comparaison avec un maximum d’autres documents. L’authenticité de leurs propres témoignages est bien sûr aussi à contrôler. De leur confrontation d’ensemble ressort de façon assez logique le meilleur aloi des représentations d’origine locale. Sont alors mises en exergue les vues des célèbres Albums de Croÿ. Si le grand nombre de figurations d’un même objet est parfois cause d’hésitations quant à l’exactitude de certains détails, elles n’en restent pas moins les meilleures références à presque tous égards.
Avec le plan de J. Roelofs de 1560-1566, cette collection, dont les représentations en images de notre région sont à situer entre les années 1590 et 1612, supplante largement en qualité toutes les reprises infidèles et plagiats du prototype du géographe hollandais de Deventer, cité de son patronyme réel en tête de paragraphe. Il faudra attendre le 20e siècle pour que rivalisent enfin avec succès les premiers cadastres et figurations dignes de foi… C’est donc sur les meilleures aquarelles commanditées par Charles III de Croÿ et réalisées sous le contrôle de son maître peintre Adrien de Montigny, que sera fondée l’analyse des points cruciaux et particuliers de cette section de « Promenade ».
Nous sommes alors au débouché de la rue d’Austravant sur le Faubourg. Qu’y trouve-t-on, à coup sûr depuis le 14e siècle, voire dès la seconde moitié du 13e, et cela jusqu’au début du 18e siècle ?
À l’intérieur d’une zone palissadée en forme de demi-rond dont les extrémités prolongées par des murets touchent au fossé bordant les murailles et qui comporte deux accès, l’un charretier et l’autre pédestre, on découvre divers organes constituant le dispositif d’approche « économico-défensif » de la porte et de la ville : le pont-levis à flèches et sa travure, le tapecul à basculement vertical, une barrière à coulissement horizontal, un corps de garde et la « maison de péage ou octroi » [Figure 1.3].
L’existence de cet ensemble ambivalent amène à en préciser ses raisons d’être. Certaines sont évidentes, d’autres appellent un mot d’explication. Surtout le péage ou droit de franchissement et ses nuances, suivant qu’il s’agisse d’un simple passage ou d’une entrée visant des fins commerciales. Cette distinction conduit à définir avec précision les situations sociales des individus car l’« état civil » détermine toujours droits et devoirs. Le « bourgeois » est un « manant » résidant à l’intérieur des murs ; il est exempt de taxes de sortie et d’entrée. Le sont aussi, les « manants » habitant dans les limites de la circonscription seigneuriale, ainsi que le « bourgeois forain », propriétaire au sein de la ville qu’il n’habite cependant pas.
Il est à noter que la condition de bourgeois n’est accessible que sous réserve de s’être acquitté de certaines redevances.
Ces dernières, ainsi que nombre d’autres taxes, sont de montants variables laissés au libre choix du seigneur et de son magistrat, dans les limites de leurs compétences. Cette grande diversité participe de l’extrême complexité des structures juridiques et administratives sous l’Ancien Régime.

Dès le 18e siècle, interviennent deux facteurs déterminants qui rendront bientôt obsolète notre désormais historique « demi-rond » : d’une part, face aux progrès de l’artillerie et suite à une longue période de paix, les enceintes urbaines deviennent désuètes. D’autre part, les modes de perception des taxes ont évolué. Aussi les empiètements privés vont-ils s’étendre au-delà des remparts dont les pierres de parement seront souvent remployées à des fins… personnelles. En 1731, mis face à des abus qu’il n’a pas réprimés, l’échevinage est pratiquement forcé d’autoriser la construction de maisons sur le quart de rond correspondant à l’ancien muret, côté est. Les bâtiments seront achevés en 1735. Plus tard, les autorités ne tiendront jamais compte des prescriptions limitatives en la matière, imposées par l’ordonnance impériale de 1771…. Ces six ou sept demeures subsisteront jusqu’à la seconde guerre mondiale. Presque ruinées, elles seront enfin abattues et remplacées par différents arrangements arborés qui respectent encore aujourd l’esquisse de courbure adoptée quelque sept siècles plus tôt [Figure 1.4].

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Figure 1.3 Débouché de la rue d’Austravant sur le Faubourg

Figure 1.4 Le muret incurvé au bout de la rue d’Austravant, seul vestige du dispositif d’approche « économico-défensif » de la porte et de la ville
Description faite de l’entrée au Faubourg ancien, restaient à trouver les origines de deux rues y conduisant ; celles d’Angleterre et d’Austravant. La première, citée tardivement en 1587, n’avait jusqu’ici jamais permis quelque rapprochement que ce soit avec l’histoire de Chimay. L’interprétation étymologique assez hasardeuse de la seconde, suggérait un « vent austral » que l’orientation de la rue ne démentait pas. Il faut souligner ici qu’en 1368, on trouvait déjà mention de cette même rue sous la forme d’Ostrevan. Vu leur fréquence avant le 20e siècle, les variations orthographiques n’inquiétaient personne. Même des chercheurs opiniâtres tels les abbés Dardenne et Lecomte, ainsi que MM. Dony et Bayot, n’ont pas été alertés par cette transformation, sans doute considérée comme issue d’une progressive influence phonétique.
C’est néanmoins chez Froissart qu’on allait pouvoir découvrir la seule et vraie piste d’explication, toute différente de celle qu’on admettait jusqu’alors. Chroniqueur attentif de la guerre de Cent ans, le chanoine détenait la clé des deux énigmes connexes…, et avait sans doute parcouru ces deux rues en parfaite connaissance des causes ayant entraîné leur appellation, sans se douter que l’une et l’autre pourraient un jour être oubliées !
Pour mieux appréhender les faits locaux subséquents, il convient de rappeler le contexte historique général opposant alors France et Angleterre. Les motifs et prétextes de leurs différends peuvent se résumer ainsi : intérêts politico-économiques incompatibles ; querelle dynastique et successorale pour l’accession au trône de France auquel prétend Édouard III, rival de Philippe VI de Valois, capétien de lignée indirecte. Les arguments juridiques des deux partis sont embrouillés et contestables. Aucun accord négocié n’est plus possible.
En 1337, la guerre est déclarée. Dans ce conflit s’affrontent deux coalitions. D’une part l’Anglaise : Édouard et sa femme Philippa, fille du comte Guillaume Ier de Hainaut, Jean IV de Hainaut, seigneur de Beaumont et de Chimay, frère puîné de Guillaume Ier et leurs divers vassaux. D’autre part, la Française : Philippe de Valois, ses fidèles et alliés de circonstance.
En 1340 les accrochages gagnent la zone frontière franco-hennuyère proche de Chimay.
Froissart en rapporte les détails. En un premier temps, la soldatesque française pille et brûle toutes les localités de la terre chimacienne. Abrité par ses murailles, seul le noyau urbain échappe aux prédateurs. Peu après, Guillaume II de Hainaut et son oncle Jean de Beaumont, déjà cité plus haut, initient une vigoureuse « contre-vengeance ». Toute la Thiérache française est alors ravagée et la ville d’Aubenton, mal défendue, totalement mise à sac et incendiée. Après avoir partagé l’important butin, les chefs de guerre hennuyers s’en reviennent à Chimay qui les accueille avec chaleur et non sans espoir de quelque compensation matérielle bien méritée.
Au grand désappointement de tous les manants, bourgeois de la ville et surtout forains, les plus éprouvés dans l’aventure, les grands personnages n’auront aucun souci d’une réparation concrète de leurs pertes et peines. Les seules marques de reconnaissance concédées resteront de nature symbolique. L’ancienne rue des merciers sera rebaptisée rue d’Angleterre en l’honneur du souverain anglais avec lequel la Maison de Hainaut entretient alors d’étroits rapports de parentèle et d’alliance. Le vieux chemin du Faubourg aura pour sa part droit au nouveau nom d’Ostrevant. On en étendra aussi le vocable à tout l’espace dégagé hors les murs à son débouché sud : en Ostrevant.
Mais tout cet épisode n’explique pas encore en quoi le mot Ostrevant pouvait gratifier d’estime une rue chimacienne. La réponse était pourtant simple à l’époque. Il suffisait de savoir – les Autorités ne pouvaient l’ignorer – que Jean IV de Hainaut, seigneur de Beaumont et de Chimay était d’abord et surtout comte d’Ostrevant.
Pour avoir tout compris, il ne reste désormais qu’à localiser ce petit comté, à dire pourquoi ce cadet de famille en était maître, et enfin à commenter, à titre simplement additionnel, son incertaine étymologie.
L’Ostrevant était, au 14e siècle, une terre extrême occidentale du Hainaut ancien. Sa surface s’étendait entre la Scarpe à l’ouest, la Sensée au sud et l’Escaut à l’est et au nord.
En tant que puîné de la Maison de Hainaut, Jean IV la tenait en apanage, c’est-à-dire en qualité de responsable dépositaire d’un bien fonds provisoirement octroyé, mais appartenant toujours aux suzerains du « chef comté » proprement dit, soit ici les comtes de Hainaut en titre, successivement Guillaume Ier et Guillaume II.
Les origines du terme Ostrevant font encore aujourd’hui l’objet de controverses entre les étymologistes. Tout le problème réside en ceci que le latin Austr évoque le sud alors que la graphie germanique Ost indique l’est. Dans les deux cas, ces premières syllabes sont attribuées à l’Ostrevant, aussi orthographié jadis Austrabant. Déterminer son emplacement exact est donc impossible avec l’aide de ces vocables, car il dépendrait dès lors de la seule position géographique de l’observateur, laquelle n’est pas définie a priori. Évitant d’entrer dans une controverse sans issue, on se ralliera pour sa partie finale à la racine allemande band signifiant à la fois lien et contenu (zone) par glissement de sens.

Sans oublier bien sûr notre Austravant qui constitue lui aussi l’aboutissement d’évolutions qui nous resteront inconnues.


(J. Buchin, mai 2015.)

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