Quand les terres plastiques faisaient la richesse de Baileux, Bourlers et Forges


– 1re partie –
Les tireurs de terre, les potiers et les briquetiers

Compte rendu de la conférence donnée le 11 février 2015 par Christian Constant


La poterie et la fabrique de matériaux en terre cuite a pris pas mal d’ampleur au 19e s. à Bourlers et à Forges. La présence de gisements de terre plastique à Baileux, Bourlers et Forges explique le développement de ces activités locales et par conséquent l’enrichissement de ces villages (surtout entre 1850 et 1940).
Les poches de terre et de sable ont été exploitées dans les trois villages, à ciel ouvert ou par puits et galeries :
  • à Baileux aux « Blanches terres » et à la « sangsulière » jusque vers 1940

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    Figure 1.1 À Baileux, ancien trou d’extraction à ciel ouvert
  • à Bourlers au «Trieu Jean de France» et près du Longchamp jusque fin des années 1960 ;
  • et à Forges à « La Poterie » jusqu’au début des années 1960.
Cette bande d’argile et de sable s’étendait dans un axe est-ouest du cimetière de Baileux à l’ouest de Bourlers (environ 3 km sur ± 500 m de large).
Ces lieux d’extraction sont par la suite devenus des dépôts d’immondices, de terre, de briquaillons et de sciure. Puis, certains de ces trous sont devenus des mares ou petits étangs (entourés parfois d’arbres), ou redevenus des prairies.

1.1 Les tireurs de terre

À Baileux

C’est une activité très ancienne déjà citée en 1606 et connue aux 17e et 18e siècles. Les propriétaires terriens et exploitants s’adressent aux administrations pour l’autorisation de « tirer » par galeries souterraines à Baileux, de part et d’autre du chemin allant à Bourlers.
Des statistiques envoyées à l’Administration des Mines à Charleroi nous renseignent sur la profondeur des galeries (12 à 30 m) et sur le nombre d’exploitations (6 en 1879, 12 en 1885 – 34 ouvriers).
Quelques tireurs de terre spécialisés venaient de la région d’Andenne : les Hemblenne, Boinon, Debut, …, Canivet, et Vital Riez dont la famille venait de Naast. Ces entrepreneurs occupaient leur famille et quelques ouvriers.
L’extraction faisait l’objet d’un contrat passé entre le propriétaire et l’exploitant.

Procédé d’extraction (témoignage de Vital Riez) [Figure 1.2] :

  • creusement d’un puits (bure) de 1,5 m de diamètre,
  • enfoncement à la pioche,
  • remontée des déblais et du sable dans des caissons à l’aide d’un treuil,
  • au fond des « bures » partent des galeries (1,80 m de large et de haut) étançonnées par du bois;
  • les blocs de terre plastique (4,5 – 0,3 – 0,2 épaisseur), coupés à la truelle et détachés à la pioche, sont amenés à la brouette au fond des puits;
  • éclairage des galeries à l’huile de colza,
  • présence de puits d’aérage en cas de trop longues galeries,
  • descente et remontée des hommes à l’aide du treuil,
  • en cas d’infiltrations d’eau, utilisation de pompes manœuvrées à bras d’homme ou évacuation des eaux par pompes, treuils ou machines à vapeur

    figure Terres plastiques/Photo conférence février 2015.jpg
    Figure 1.2 Système d’extraction de la terre et du sable par puits et galeries

    .

À Bourlers:

L’extraction avait lieu à « Coullière », au « Trieu Jean de France», aux abords de la fabrique Martin et à proximité du Longchamp (ruisseau).
Selon Dony, Bourlers fournissait surtout la terre à grès et, à partir de 1880, la terre blanche est utilisée pour la céramique.
Les archives communales nous fournissent, à travers les autorisations délivrées par le conseil, les noms de divers exploitants : J.-B. Lange, Louis Henrard, Constant Leclercq, Donat Maufroid, Leurquin Arthur, Louis Maufroid, etc.

1.2 La Poterie à Forges

Elle existait déjà à l’époque franque (nécropole découverte en 1892). Au lieu dit « Verdria », derrière la laiterie Sainte-Anne, un cimetière a été exploité comme carrière et on a découvert un remarquable produit archéologique (poterie fine, élégante, noire…)
Le lieu dit « La Poterie » est situé en bordure du chemin de Bourlers à Forges (carte Maillard).
Diverses mentions d’archives indiquent la présence de potiers aux 16e, 17e, et 18e siècles. On fabriquait aussi des briques à Forges (v. document-procès dressé à Dartevelle J. François). Vander Maelen signale vers 1830, neuf fabriques de poteries en terre.
Les potiers œuvraient au Bas-Village et à « la Poterie ». Le Plan Popp nous fait découvrir le sentier des potiers menant de la Poterie aux lieux d’extraction du Longchamp à Bourlers.
Les registres de population de Forges nous renseignent sur quelques potiers (Poulet, Poucet, Gobeaux, Dardevelle, etc.) Un registre de 1912 prouve l’existence des briquetiers travaillant pour un certain Léon Lenoir, appelé « Caraman » par dérision (riche notable). Une poterie fonctionnait au début du 20e s., celle de François Gobeaux (photo d’une facture) et de son cousin J.B. Gobeaux.

1.3 La Poterie à Bourlers

Dony avance l’installation de potiers à Bourlers dès le milieu du 18e siècle. Vander Maelen mentionne, vers 1830, cinq fabriques de potiers à Bourlers, qui exportaient en grande partie en France. Sars–Poterie (en France) et Boulers ont entretenu des relations commerciales fin 18e et début 19es. Ce sont les Français qui sont venus exercer leur métier à Bourlers (Jacques Leclercq, François Maufroid, Caniot, Lamblot, Donat Maufroid). Ce dernier fondera l’usine des produits céramiques Maufroid en 1879. L’âge d’or de la poterie bourlésienne se situe au milieu du 19e siècle.
  • Mais quel type de poterie fabriquait-on ? À Bourlers, la production était orientée vers les aspects culinaire et utilitaire. Une photo de la collection de Jean-Paul Baudart [Figure 1.3] (poteries fabriquées par Constant Leclercq, un de ses ancêtres) nous renseigne énormément sur l’usage de ces poteries. Citons pêle-mêle : pots à bière, services à café, lèche-frites, casseroles, suspensions pour fleurs, pots à tabac, tirelires. Mettons en évidence deux objets curieux : le « panier à anse » pour porter du pain baignant dans la bière et la « canlette » pour faire bouillir le lait sans qu’il puisse sortir du récipient.

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    Figure 1.3 Collection privée de poteries produites à Bourlers (J.-P. Baudart)
  • L’art du potier consiste en la transformation de l’argile en objets usuels. La cuisson est aussi très délicate et elle assure le vernissage, la beauté et la solidité (pour vernir, on jetait du sel marin dans le four par des ouvertures pratiquées dans la voûte.)
    La profession de potier, trop artisanale, a disparu au début du 20e siècle, victime de la concurrence de nouveaux matériaux. Sur le plan artistique, deux dames ont perpétué la tradition. Jeanne-Marie André à Bourlers et Marie-Jo Cuche encore en activité à Forges et au centre occupationnel de la Boulaie à Chimay.

1.4 Vente de la production

Les produits finis étaient exportés en France mais aussi sur les foires et marchés locaux grâce à des marchands ambulants ou colporteurs (voir anecdote liée à la naissance de Jules Maufroid en 1853).

1.5 Voies de communication – Moyens de transport

La structure de nos villages a été partiellement modifiée par la création de nouveaux chemins:
  • par exemple Forges, avec déplacement du centre du village et création de deux nouveaux chemins vers la gare du tram.
  • À, Bourlers, en 1852 on projette la création d’une route vers la Gruerie et on décide la construction de l’actuelle route Bourlers-Chimay qui sera terminée en 1869. En 1872 débute la construction de la route Bourlers, Forges, Momignies. En 1906, on élargit la rue de Baileux.
  • Surtout, la création du chemin de fer vicinal permet à nos villages de rompre l’isolement. C’est la ligne Chimay-Bourlers-Forges (1903) – Cul-des-Sarts – Couvin (1904). Les industriels investiront à condition de créer une double voie de Chimay à Forges (la voie à grande section (1,435 m) encadrait la voie du tram (1,0 m)) permettant le passage des wagons du chemin de fer national. Ainsi, les usines Maufroid et Poulet (Forges) disposeront de terminaux ferrés !

1.6 La Fabrique Lange

En 1819, Jean-Baptiste Lange est autorisé à extraire des terres plastiques et du sable sur les aisements. Son fils Pierre fera construire l’atelier de production en bordure du nouveau chemin de Bourlers à Chimay, à l’emplacement de l’actuel bâtiment de la Poste (1867-1870). C’est une fabrique de produits réfractaires [Figure 1.4] située au lieu-dit « La Moinerie» où fut établie une ancienne ferme érigée par les moines de l’Abbaye de St Michel. J.-B. Lange fait construire en 1882 une très belle demeure adossée à un bâtiment agricole (rue des Juifs – Maison Gravy).

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Figure 1.4 Produits de la fabrique Lange
Cette fabrique connut comme d’autres industriels le problème de l’approvisionnement en eau (guéguerre entre industriels et particuliers).
La majorité des clients de la Fabrique Lange se trouvaient en France (Vallée de la Meuse, Ardennes, Jura, etc.) En Belgique, on recense dans la clientèle les poêleries de Couvin, les usines céramiques de Bourlers, Forges, St-Remy, la Verrerie de Momignies, etc. Mais la Fabrique Lange exportait aussi en Suisse, Hollande, Espagne, etc. Ce qui prouve évidement sa renommée. L’usine cessa son activité en 1914 (le premier août).
À suivre…

(Ce texte a été rédigé d’après les notes prêtées par le conférencier.)

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